Saint Søren, priez pour nous ?

Il n’est pas d’usage dans l’Église catholique, apostolique et romaine de béatifier (déclarer « bienheureux » ou « bienheureuse ») ou de canoniser (déclarer « sainte » ou « saint ») des personnes qui n’auraient pas été, au moment de leur mort, en communion avec elle. Seules « ses » fidèles peuvent être proposées à la vénération des fidèles, eux seuls peuvent être donnés en exemple de cette façon particulièrement éminente.

L’Église épiscopale des États-Unis ne canonise pas. N’y sont appelées « saintes » que les personnes canonisées avant les divisions survenues dans l’Église d’Occident au XVIe siècle. En revanche, elle donne en exemple et propose à la vénération de ses fidèles – notamment en les incluant dans son calendrier liturgique et en composant des prières de circonstance – un grand nombre de personnes appartenant à différentes Églises.

Son calendrier liturgique est donc d’une richesse et d’une variété assez remarquables, incluant des saints d’Occident et d’Orient canonisés avant le XVIe siècle (des papes comme Grégoire le Grand, des philosophes et théologiens comme Grégoire de Nysse, Anselme de Cantorbéry ou Thomas d’Aquin) mais aussi plus tard : en Occident, Jeanne d’Arc (béatifiée en 1909 et canonisée en 1920 dans l’Église catholique) ou Jean Bosco (religieux et éducateur italien du XIXe siècle, fondateur des Salésiens), en Orient, l’écrivain d’icônes Andreï Roublev (canonisé dans l’Église orthodoxe russe en 1988) ou Tikhon (patriarche de Moscou et de toute la Russie pendant les premières années de l’Union soviétique, canonisé en 1981 par l’Église orthodoxe russe hors de Russie et en 1989 par l’Église orthodoxe russe).

Ne sont pas écartées des personnes qui ont été impliquées en leur temps dans des conflits entre chrétiens, comme Ignace de Loyola, le fondateur de la Société de Jésus (XVIe siècle), ou encore des personnes reçues dans une autre Église, comme John Henry Newman (XIXe siècle, prêtre anglican reçu dans l’Église catholique, devenu cardinal, et béatifié dans l’Église catholique en 2010). Un archevêque catholique a même été vénéré avant sa béatification en 2015 : l’archevêque salvadorien Oscar Romero, assassiné en 1980 pendant qu’il disait la messe. J’ai découvert l’existence de Janani Luwum, archevêque ougandais assassiné en 1977, sans doute en raison de son hostilité au régime d’Idi Amin Dada. On retrouve aussi les martyrs du Japon et les martyrs d’Ouganda, vénérés dans leur ensemble, sans distinction entre catholiques, anglicans ou autres – en 1964, quand le pape Paul VI avait béatifié les vingt-deux martyrs (catholiques) d’Ouganda, il avait précisé que l’Église catholique ne souhaitait pas « oublier ceux qui, de confession anglicane, avaient affronté la mort au nom du Christ ».

Figurent aussi parmi les personnes données en exemple dans cette Église le pasteur et activiste Martin Luther King, des théologiens comme Søren Kierkegaard, Karl Barth ou Dietrich Bonhoeffer, des compositeurs comme Jean-Sébastien Bach ou William Byrd, des écrivains comme Christina Rossetti, Gilbert Keith Chesterton ou Clive Staples Lewis (l’auteur des Chroniques de Narnia, et de nombreux ouvrages d’apologétique chrétienne), des scientifiques comme Nicolas Copernic et Johannes Kepler. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’en tant que chrétien (et catholique), au fond, tous ces gens, catholiques ou non, ont joué un rôle dans ma vie de foi à divers titres, m’ont aidé à rencontre Dieu de différentes manières. L’impact de Bonhoeffer et a fortiori de Barth sur la théologie catholique est indéniable. Bach, Haendel, Byrd, Tallis ont sans nul doute fait voir Dieu, porté à la prière, accompagné la liturgie au-delà des frontières entre Églises. Copernic et Kepler nous ont aidé à mieux voir le monde tel que Dieu le crée. Chesterton et Lewis sont lus par des chrétiens de toute confession comme par des agnostiques, athées ou croyants non-chrétiens.

Alors que faudrait-il faire ? Comme je l’ai déjà dit, l’Église catholique ne canonise pas ceux qui n’adhèrent pas à elle de façon explicite. Modifier cet usage serait peut-être perçu par d’autres Églises comme une « annexion », une façon de créer des « catholiques malgré eux ». Par ailleurs, l’Église catholique canonise suivant une procédure très rigoureuse, en accordant une attention importante à l’orthodoxie et à l’exemplarité des vertus. Qu’est-il possible de faire pour mieux reconnaître ces « saints non formellement catholiques » – qui jouent d’ores et déjà un rôle important dans la vie de très nombreux catholiques ? Je l’ignore.

Ce dont je suis certain, c’est qu’en dépit des progrès de l’œcuménisme au cours des dernières décennies, nous sommes toujours tentés de croire que notre Église est la seule à avoir la « recette » du salut. Or il n’y a pas de « recette » du salut, celui-ci étant donné à une multitude suivant des voies qui nous sont souvent mystérieuses. Je suis sûr que nous trouverons à l’avenir des moyens de mieux reconnaître la façon dont l’Esprit-Saint est à l’œuvre, celle dont le Christ se manifeste, celle dont le salut de Dieu advient en-dehors des limites apparentes de l’Église catholique apostolique et romaine.

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