Roger Nimier prisonnier des FARC

Ma petite maman,

Je suis dans la jungle depuis cinq ans déjà, et n’ai pu te donner de mes nouvelles qu’aujourd’hui. J’en suis désolé. Tout va bien. Je relis pour la quarante-troisième fois les Mémoires du cardinal de Retz : c’est extraordinaire. Si tu pouvais me faire parvenir les Commentaires de Monluc ?

Nos geôliers sont des gens charmants. Hier soir encore, j’ai gagné le concours de gobage d’œufs qui opposait gardiens et prisonniers. L’un de nos adversaires est mort tragiquement au cours de cet exploit. La conduite me manque, mais le sous-commandant José me fait miroiter d’heureuses perspectives : en jouant sur le syndrome de Stockholm, il n’est pas impossible que je sois nommé ambassadeur de Colombie à Paris lorsque les révolutionnaires auront renversé le gouvernement, Aston Martin de fonction à la clé. Espérons.

L’une de nos compagnes de captivité est insupportable. Elle ne cessait de nous entretenir de sujets abscons, droits de l’homme, démocratie, humanisme. J’en passe. La situation s’est cependant améliorée : depuis qu’une de ses amies est tombée enceinte, elle n’adresse plus la parole à personne. Une sombre histoire de rivalité pour les beaux yeux d’un combattant de la cause prolétarienne.

Meilleur souvenir à Jacques (publie-t-il les lettres quotidiennes qu’il ne peut plus m’envoyer ?) et Antoine (mais dissuade-le de venir me rejoindre – j’ai appris par les journaux qu’il s’était mis au parachutisme). Bises à Nadine. Prie pour ton

Roger

PS : Le premier qui fait mine de vouloir lâcher des ballons, accrocher mon portrait à la façade d’une mairie, ou tout autre faute de goût – même et surtout si c’est en vue d’obtenir ma libération – peut numéroter ses abattis en attendant mon retour.