L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (Brazzaville, 2010)

Les commerçants présents sur les marchés congolais sont souvent liés à l’une ou l’autre église protestante dite « de réveil » (églises issues du pentecôtisme, dans lesquelles les interventions de l’Esprit-Saint jouent un grand rôle). Au sein d’associations d’entraide qui rappellent les confréries de l’Europe médiévale et moderne, les commerçants (souvent des commerçantes) les plus prospères jouent les premiers rôles. Quelques missionnaires venus d’outre-Atlantique ont apporté une nouvelle vision du monde, dans laquelle celui qui veut faire de bonnes affaires doit se conformer à un certain nombre de règles morales – sexuelles en particulier, l’argent étant associé à la semence masculine : il faut bien user de l’un et de l’autre. Cette vision du monde a rencontré son public ; dans son enquête sur le marché Total de Brazzaville  (Histoire sociale d’un marché urbain au Congo-Brazzaville), Joseph Bouzoungoula est arrivé au résultat suivant : 98,95 % des 2450 commerçants « reconnaissent l’efficacité de la prière et de la parole de Dieu pour la bonne marche de l’entreprise et du commerce ».

Pourtant l’efficacité de la prédication pentecôtiste reste limitée. On a beau expliquer que les pratiques liées au ndoki (tout ce qui concerne la sorcellerie) font obstacle à la foi au salut personnel et à l’entreprise individuelle (il est au demeurant parfaitement exact que la sorcellerie fait obstacle à l’entreprise individuelle : je me souviens de cette petite ville du Nord où j’étais passé deux fois à un intervalle de quatre mois ; entretemps, deux personnes avaient été mises à mort pour « réussite économique suspecte »)… ces pratiques, donc, ne disparaissent pas pour autant. Les colonisés ont agi sur les colonisateurs autant que les colonisateurs ont agi sur les colonisés, nous nous sommes adaptés à eux autant qu’ils se sont adaptés à nous, aujourd’hui comme autrefois. Intégrer subtilement à leur échafaudage culturel les matériaux venus d’Occident, les Africains savent le faire aussi bien que nous, aussi bien qu’un Picasso recyclant des masques nègres. Quoi de plus merveilleux à cet égard que cette loi congolaise du 10 octobre 1980, relative à l’article 18 de la Constitution portant liberté de religion, qui prévoit que : « Ne pourront exercer publiquement un ministère que les prophètes détenteurs d’une autorisation officielle » ?

Custine sur l’Afrique noire

Ces quelques lignes de Custine sur la Russie du début du XIXe siècle (dans ses Lettres, dont j’ai déjà vivement recommandé la lecture sur ce blog) me semblent s’appliquer assez bien aux élites d’Afrique noire. Le constat est certes sévère et peu encourageant. Mais quand on sait ce qu’étaient ces mêmes élites il y a cinquante ans – d’anciens étudiants, souvent brillants, au moins aussi cultivés et intelligents que leurs collègues de métropole, même s’ils furent hélas rapidement corrompus par l’exercice du pouvoir – il est difficile d’être optimiste.

“Il n’est que trop facile ici de se laisser prendre aux apparences de la civilisation. Si vous voyez la cour et les gens qui la grossissent, vous vous croyez chez une nation avancée en culture et en économie politique ; mais lorsque vous réfléchissez aux rapports qui existent entre les diverses classes de la société, lorsque vous voyez combien ces classes sont encore peu nombreuses, enfin lorsque vous examinez attentivement le fond des mœurs et des choses, vous apercevez une barbarie réelle à peine déguisée sous une magnificence révoltante.

Je ne reproche pas aux Russes d’être ce qu’ils sont ; ce que je blâme en eux, c’est la prétention de paraître ce que nous sommes. Ils sont encore incultes ; cet état laisse du moins le champ libre à l’espérance, mais je les vois incessamment occupés du désir de singer les autres nations, et ils les singent à la façon des singes, en se moquant de ce qu’ils copient. Alors je me dis: voilà des hommes perdus pour l’état sauvage et manqués pour la civilisation, et le terrible mot de Voltaire ou de Diderot, oublié en France, me revient à l’esprit : « Les Russes sont pourris avant que d’être mûrs. »”

Michel Sardou passe l’agreg

Pour la brillante idée de ces « copies » commentées, je rends hommage à Camille de Carnets baroques.

Agrégation d’histoire
Oral
Épreuve sur dossier (géographie)
Sujet : L’Afrique (présentation générale)

Documents : Bandes dessinées : Stanley et Baden-Powell, éditions du Triomphe. Extraits du Voyage au bout de la nuit. Photos : pagnes, Burundi ; poisson salé sur un étal, Côte-d’Ivoire ; bar à putes, RDC. Vidéo : La Légion saute sur Kolwezi (making-of).

Jury 06 (Jacques Foccart, Bernard Lugan, Loïc Le Floch-Prigent)
Candidat interrogé : Michel Sardou

Afrique adieu (plutôt en conclusion)
Belle Africa (jeu intéressant sur le mot « Afrique » dans plusieurs langues, introduction à la richesse culturelle du continent noir, à sa colonisation par différentes puissances européennes ; pourquoi  n’avez-vous pas développé ce thème par la suite ?)
Où vont les eaux bleues
Du Tanganyika (elles rejoignent le bassin du Congo, puis l’océan Atlantique ; ce sont des connaissances que vous devriez avoir après cinq années d’études d’histoire et de géographie)

Afrique adieu
Ton coeur Samba (pourquoi pas Mamadou ? ne soyez pas si caricatural !)
Saigne autant qu’il peut
Ton coeur s’en va (l’Afrique vue avant tout comme espace qu’on quitte, intéressant, mais il faudrait préciser : esclavage, émigration ?)

Il pleut des oiseaux aux Antilles (l’esclavage, donc ?)
Sur des forêts de magnolias (la référence à Claude François est superflue ; préférez-lui Georges Balandier)
Les seins dorés brûlants des filles (parler de seins « dorés » était maladroit ; en laissant entendre que vous n’aviez fréquenté que des métisses ou des maghrébines, vous restreigniez le sujet et laissiez entendre au jury que vous n’aviez qu’une connaissance superficielle de l’Afrique)
Passent à deux pas de mes dix doigts (n’exhibez pas ainsi votre potentiel de séduction ; c’est prétentieux et indélicat, les membres du jury n’étant plus à la fleur de leur âge)

Des musiciens de Casamance
Aux marabouts de Pretoria (carte des religions en Afrique mal maîtrisée)
C’est tout un peuple fou qui danse (une allusion distanciée à la « mentalité primitive » décrite par Lévy-Bruhl aurait été bienvenue)
Comme s’il allait mourir de joie (certes, mais on attendait une évocation de la misère, des guerres civiles)

Afrique adieu… (refrain)

Sur les étangs de Malawi
La nuit résonne comme un signal (vous n’êtes pas Mallarmé, c’est une évidence)
C’est pour une fille de Nairobi
Qu’un tambour joue au Sénégal (bonne amorce aux migrations interafricaines, il aurait fallu aller plus loin ; on ne peut pas parler de relations amoureuses en Afrique sans aborder la question du SIDA)

Et de Saint-Louis à Yaoundé
Des Lacs salés au vieux Kenya (pourquoi vieux ? si vous vouliez parlez de Jomo Kenyatta, c’était pertinent, mais il aurait fallu le préciser)
C’est tout un peuple qui va danser
Comme s’il allait mourir de joie (évitez les redites)

Afrique adieu
Tes masques de bois
N’ont plus dans leurs yeux
L’éclair d’autrefois (bonne ouverture sur l’intégration de l’Afrique à la mondialisation, l’arrivée en masse des Chinois, moins soucieux d’objets d’art que leurs prédécesseurs européens ; Bernard Lugan, membre du jury, a déploré que « l’éclair d’autrefois » n’ait pas donné lieu à un développement sur la Waffen SS dans l’Afrikakorps)

Afrique adieu
Là ou tu iras
Les esprits du feu
Danseront pour toi (suggérer un espoir de restauration africaine par le retour à l’animisme était original ; vous n’avez pas cru devoir mentionner les théories afrocentristes, c’est dommage)

Afrique adieu… (refrain)

Appréciation générale : Exposé trop succinct, prometteur par certains aspects, mais qui a laissé le jury sur sa faim. Beaucoup d’approximations, qui auraient pu être évitées : le volume de la Géographie universelle portant sur l’Afrique était présent dans la salle de préparation, il est regrettable que vous ne l’ayez pas consulté. Des qualités formelles (voix, occupation de l’espace…) qui laissent espérer une prestation plus solide l’an prochain.

Note : 6/20