Les commerçants présents sur les marchés congolais sont souvent liés à l’une ou l’autre église protestante dite « de réveil » (églises issues du pentecôtisme, dans lesquelles les interventions de l’Esprit-Saint jouent un grand rôle). Au sein d’associations d’entraide qui rappellent les confréries de l’Europe médiévale et moderne, les commerçants (souvent des commerçantes) les plus prospères jouent les premiers rôles. Quelques missionnaires venus d’outre-Atlantique ont apporté une nouvelle vision du monde, dans laquelle celui qui veut faire de bonnes affaires doit se conformer à un certain nombre de règles morales – sexuelles en particulier, l’argent étant associé à la semence masculine : il faut bien user de l’un et de l’autre. Cette vision du monde a rencontré son public ; dans son enquête sur le marché Total de Brazzaville (Histoire sociale d’un marché urbain au Congo-Brazzaville), Joseph Bouzoungoula est arrivé au résultat suivant : 98,95 % des 2450 commerçants « reconnaissent l’efficacité de la prière et de la parole de Dieu pour la bonne marche de l’entreprise et du commerce ».
Pourtant l’efficacité de la prédication pentecôtiste reste limitée. On a beau expliquer que les pratiques liées au ndoki (tout ce qui concerne la sorcellerie) font obstacle à la foi au salut personnel et à l’entreprise individuelle (il est au demeurant parfaitement exact que la sorcellerie fait obstacle à l’entreprise individuelle : je me souviens de cette petite ville du Nord où j’étais passé deux fois à un intervalle de quatre mois ; entretemps, deux personnes avaient été mises à mort pour « réussite économique suspecte »)… ces pratiques, donc, ne disparaissent pas pour autant. Les colonisés ont agi sur les colonisateurs autant que les colonisateurs ont agi sur les colonisés, nous nous sommes adaptés à eux autant qu’ils se sont adaptés à nous, aujourd’hui comme autrefois. Intégrer subtilement à leur échafaudage culturel les matériaux venus d’Occident, les Africains savent le faire aussi bien que nous, aussi bien qu’un Picasso recyclant des masques nègres. Quoi de plus merveilleux à cet égard que cette loi congolaise du 10 octobre 1980, relative à l’article 18 de la Constitution portant liberté de religion, qui prévoit que : « Ne pourront exercer publiquement un ministère que les prophètes détenteurs d’une autorisation officielle » ?