Ce qu’était un grand homme

Vous me demandez les éléments d’une notice biographique ? Je vous prie de m’excuser si je ne vous obéis pas en cette occasion. Le public vous la demande ? Raison de plus pour que vous ne la lui donniez pas. Le train de nos jours veut que tout le monde pose devant lui ; la pose me semble souverainement ridicule, et surtout celle d’un petit homme comme moi. Quand vous voudrez connaître ma vie, vous la connaîtrez. Après mon Dieu, ma vie appartient à mes parents et à mes amis ; quant au public, il n’a rien à faire avec moi, ni moi avec lui. Nos rapports ne seront jamais bienveillants ; je l’accuse de gâter tout ce qu’il touche, en commençant par lui-même. Entre lui et moi, il ne peut y avoir d’autres rapports que ceux que Dieu a établi entre le démon et la femme : l’inimitié.

Juan Donoso Cortés, Correspondance, Œuvres (Veuillot éd.), t. II, p. 209

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… avec Juan Donoso Cortés, précurseur d’Ellul et Kaczynski, ce que tout le monde ignorait jusque là.

Messieurs, je vous prie d’observer une chose. Dans le monde antique, la tyrannie était cruelle et destructrice [en espagnol, le magnifique asoladora], et cependant cette tyrannie était limitée dans ses moyens, parce que les États étaient de petite taille, et parce que les relations internationales étaient à tout point de vue impossibles ; c’est pourquoi il n’y eut pas au cours de l’Antiquité de tyrannie à grande échelle, exceptée celle de Rome. Mais aujourd’hui, messieurs, comme les choses ont changé ! Messieurs, les chemins sont préparés pour un tyran gigantesque, colossal, universel, immense ; tout est préparé pour lui : messieurs, observez-le bien ; il n’y a plus d’obstacles matériels ou moraux. Il n’y a plus d’obstacles matériels, parce qu’avec les bateaux à vapeur et les chemins de fer, il n’y a plus de frontière. Il n’y a plus d’obstacles matériels, parce qu’avec le télégraphe électrique, il n’y a plus de distances. Et il n’y a plus d’obstacles moraux, parce que tous les esprits sont divisés, et parce que tous les patriotismes sont morts. Dites-moi, alors, si j’ai ou non raison quand je m’inquiète de l’avenir immédiat du monde : dites-moi si en me penchant sur ce problème, je ne me suis pas penché sur le véritable problème.

Une seule chose peut empêcher la catastrophe, une et rien de d’autre : nous ne l’empêcherons pas en donnant plus de liberté, plus de garanties, ou de nouvelles constitutions ; nous l’empêcherons en nous efforçant de susciter, dans la mesure de nos moyens, une réaction salutaire et religieuse. Ainsi donc, messieurs : cette réaction est-elle possible ? Elle l’est certainement : mais est-elle probable ? Messieurs, je le dis avec une grande tristesse : je ne crois pas qu’elle soit probable. J’ai vu, j’ai connu de nombreux individus qui avaient abandonné la foi et y sont revenus : malheureusement, messieurs, je n’ai jamais vu un peuple retrouver la foi après l’avoir perdue.

Juan Donoso Cortés, Discours sur la dictature, 1849 (traduction personnelle et sans prétention)