Sur la loi naturelle

Joseph Ratzinger

Je dirai seulement ceci : j’ai essayé de montrer pourquoi, pour un chrétien, on peut parler, en faisant abstraction de la foi, de la priorité de la raison par rapport à la matière, donc de la présence de la raison dans la matière, et donc de la Création ; mais naturellement, Flores d’Arcais a raison, cette conviction de la Création n’est pas partagée… partagée par tous.

En ce sens, elle ne constituerait pas un fondement qui pourrait garantir une action commune. C’est parce qu’il en était déjà ainsi dans l’Antiquité que les Pères de l’Église ont traduit un mot de la foi par un mot philosophique, rejoignant sur ce point le stoïcisme, dans lequel il n’était jamais question de créateur ni de création mais qui voyait, disons, une sorte de qualité divine dans l’être lui-même. C’était là un message valable pour tous, et de ce fait le mot nature était un véhicule utilisable, accessible au-delà de la limite de la foi. Et c’est la raison pour laquelle le mot nature est entré dans le vocabulaire de la théologie, du magistère, en tant qu’indication de l’élément philosophique, séparable en lui-même, le cas échéant, d’une vision plus profonde de la foi.

En ce sens, il me semble qu’on devrait aussi dans le futur discuter de l’utilité et de la rationalité de ce concept de nature, qui exprime la conviction que les réalités sont en elle-mêmes porteuses d’un message moral et imposent des limites à nos volontés. [Suit une analogie avec l’écologie et les leçons que nous tirons de la nature].

C’est pourquoi je ne peux pas partager le point de vue selon lequel ces droits inaliénables, indiqués par de grands textes, et qui sont le fruit de la pensée des Lumières, ces droits, donc, ne seraient que des droits civils, des choix opérés par nous. Si c’était le cas, ils pourraient être changés. Alors qu’ils ne doivent pas être changés, pour que ne soient pas détruits l’humanité et le sens du respect de l’autre. Et l’argument selon lequel des siècles, des millénaires peut-être, n’ont pas vécu ces valeurs, et que donc elles ne peuvent pas être naturelles, pour moi ne compte pas, car l’homme est capable de vivre contre la nature, il suffit de regarder pour s’en convaincre.

Paolo Flores d’Arcais

Je reste malgré tout d’avis qu’il est fondamental de parvenir à une clarification de fond sur un postulat qui, me semble-t-il, est réapparu dans toutes les questions les plus importantes abordées par le cardinal Ratzinger : aussi longtemps que celui qui a la foi pensera vraiment que cette foi ne fait qu’un avec la raison, c’est-à-dire [tant qu’il pensera vraiment] qu’on ne peut pas arriver, en argumentant rationnellement, à des vérités ou à des opinions qui s’opposent aux siennes, il aura toujours la tentation de s’imposer – y compris par la force – chaque fois qu’il le pourra.

Car, voyez-vous, cela n’a pas de sens de dire que la nature nous délivre un message. La nature, hélas, ne nous délivre aucun message. Par bonheur, certaines minorités, une époque très récente, surtout en ce qui concerne l’écologie dans la génération précédente, ont commencé se poser le problème qui résulte du fait que la nature, qui par ailleurs ne nous dit rien, n’est pas inépuisable. Mais cela, ce n’est pas la nature qui l’a dit, la nature ne dit absolument rien, c’est nous-mêmes qui, heureusement, y avons enfin réfléchi… ou du moins certains d’entre nous.

Et alors, cette idée selon laquelle il y a des valeurs que nous éviterons de mettre en discussion uniquement si nous pensons qu’elles sont dictées par la nature et non qu’elles résultent d’un choix conscient de notre part – cette idée me semble en outre déresponsabilisante. Nous ne devons pas, pour défendre ce noyau de valeurs inaliénables, penser qu’elles sont inscrites dans la nature, parce que cela porte à croire que, puisqu’elles sont inscrites dans la nature, elles seront tôt ou tard reconnues.

Non. Elles sont si peu inscrites dans la nature qu’elles sont le fruit d’une très laborieuse évolution historique et des sacrifices de bien des générations, de bien des individus. Et justement à cause de cela, parce que nous voulons qu’elles soient inaliénables pour nous tous, et que nous savons qu’elles ne reposent que sur nos épaules, c’est justement à cause de cela que nous devons et que nous pouvons les défendre avec intransigeance, jour après jour. Parce que nous savons que nous sommes totalement responsables de ces valeurs. 

Est-ce que Dieu existe ? – Dialogue sur la vérité, la foi et l’athéisme, Joseph Ratzinger et Paolo Flores d’Arcais, Payot-Rivages, 2006

Bien sûr, les contours du débat restent assez flous et les deux interlocuteurs semblent ne pas être d’accord sur la définition de la nature, mais d’une manière générale, j’avoue trouver l’intervention du laïc beaucoup plus convaincante que celle du cardinal… Je n’aime pas trop le terme de valeurs, et suis en désaccord avec le dernier paragraphe de Flores d’Arcais, c’est surtout sa démolition de la loi naturelle qui m’intéresse.

Jésus crucifié (Hans Küng)

« Ce n’est pas en tant que ressuscité, glorifié, vivant, divin, mais en tant que crucifié, que Jésus-Christ se distingue, sans confusion possible, de la foule des dieux ressuscités, glorifiés et vivants, de la foule des fondateurs de religion, des césars, des génies et des héros divinisés qui ont marqué l’histoire universelle.

La croix n’est donc pas simplement un exemple et un modèle : elle est le principe, la force et la norme de la foi chrétienne, le véritable critère qui différencie radicalement cette foi et son seigneur sur le marché mondial des philosophies religieuses ou irréligieuses, des autres religions, idéologies ou utopies concurrentes. En même temps, la croix enracine la foi chrétienne dans la réalité de la vie concrète et de ses conflits. « Jésus est le seigneur » : telle est la plus ancienne et la plus concise des professions de foi chrétiennes.

Ainsi donc, c’est la croix qui démarque la foi chrétienne de l’incroyance et de la superstition. Certes, la croix est dans la lumière de la résurrection ; mais en même temps, la résurrection reste dans l’ombre de la croix. »

Hans Küng, Vingt propositions extraites d’Être chrétien, Seuil, 1979

Tu te souviens mon petit Hans ? C’était bien, le temps où tu écrivais des choses intéressantes au lieu de déblatérer à tort et à travers sur la pédophilie. Je sais, Rome et tonton Ratzinger n’ont pas toujours été très réglos avec toi… allez, fais un effort, pardonne à ceux qui t’ont offensé, et refais de la théologie…  ça vaudra mieux pour tout le monde…