Modeste contribution au débat sur le célibat des prêtres

Les propos liant la pédophilie de certains prêtres à l’obligation qui leur est faite d’être célibataire n’ont guère d’intérêt, et beaucoup sur Internet y ont déjà répondu. La sexualité peut bien entendu être tout aussi pervertie chez un homme marié que chez un célibataire, il n’y a pas à y revenir. Voyez en particulier cet article de Koztoujours.

Je crois néanmoins qu’il peut et qu’il doit y avoir un débat sur le célibat des prêtres dans l’Eglise catholique. Il est impossible de prendre pour argent comptant le discours que tient l’institution sur la grandeur du célibat sacerdotal, le prêtre conformé au Christ, dévoué tout à tous, etc. Qu’il soit admirable de renoncer à l’amour humain pour l’amour de Dieu et le service de ses frères, cela, tout le monde en convient. Qu’aujourd’hui, du point de vue de la spiritualité et de la pastorale, l’obligation du célibat soit intimement liée à la figure du prêtre tel qu’on l’envisage dans l’Eglise catholique, personne ne le conteste.

Les choses sont pourtant un peu plus compliquées qu’il n’y paraît. Je ne m’étends pas sur les motifs d’ordre terrestre qui ont pu contribuer à rendre souhaitable le célibat des prêtres (volonté de préserver le patrimoine de l’Eglise en évitant les héritages, plus grande disponibilité du célibataire, etc.). Ils existent, mais n’ont jamais été déterminants.

Les Pères de l’Église, et l’Église à leur suite, ont longtemps considéré que, « toutes choses égales d’ailleurs, il est indubitable qu’on doit préférer l’homme continent à celui qui est marié » (Augustin, La Cité de Dieu, ch. 36). Aujourd’hui, il me semble que nous avons approfondi notre compréhension de la chasteté, et qu’en conséquence, quoi qu’en dise saint Paul, nous pouvons considérer qu’il existe une chasteté de l’homme marié et une chasteté de l’homme célibataire (ce que les Pères de l’Église savaient déjà), et que l’une ne l’emporte pas sur l’autre (là, les Pères de l’Église ne sont plus d’accord, et je n’ignore pas qu’en écrivant cela je tombe sous le coup d’un anathème de la XXIVe session du concile de Trente, mais à vrai dire, ça ne m’inquiète pas trop…).

L’obligation du célibat a été imposée par l’institution ecclésiale de manière progressive. On a commencé par demander  (dès le IVe siècle) aux prêtres de s’abstenir de leurs épouses, ce qui peut tout à fait se comprendre, si l’on se réfère à l’obligation faite aux prêtres de l’Ancien Testament de s’abstenir de leurs épouses pendant le temps où ils servaient au Temple. L’interdiction formelle et explicite faite aux membres du clergé de prendre femme ou d’avoir une concubine remonte au concile de Nicée (début du IVe siècle). (Les prêtres ordonnés après leur mariage restaient mariés, comme ils le sont toujours dans les Églises d’Orient). Après le concile In Trullo (fin VIIe siècle), les Églises d’Orient autorisent à nouveau les prêtres à vivre maritalement avec leurs femmes, ce que l’Église d’Occident accepte tout à fait par la suite (quitte à stigmatiser la figure du pope libidineux dans les moments de tension, c’est de bonne guerre).

Sous l’influence du célibat monastique (entre autres), et dans un contexte de réforme, aux XIe-XIIe siècles on en arrive à une incompatibilité totale (dans les textes du moins…) entre l’état d’homme marié et l’état de prêtre, rappelée par le concile du Latran. En pratique, le respect de cette obligation semble avoir été exigé avec une relative rigueur jusqu’au début du XIVe, un certain relâchement suit, et c’est avec la mise en application de la réforme tridentine (mi-XVIe siècle), c’est-à-dire au XVIIe siècle, que les évêques veillent à ce que le célibat sacerdotal soit strictement respecté.

En France, à la fin du XVIIe siècle, les rapports rédigés par les évêques dans le cadre de leurs « tournées d’inspection »  mettent en évidence une proportion de prêtres, vivant maritalement, ou notoirement fornicateurs, variant entre 10 et 50 % selon les diocèses. Quand les prêtres du diocèse de Cahors voient à arriver un nouvel évêque décidé à appliquer la réforme tridentine dans toute sa rigueur, ils forment un syndicat et écrivent cette magnifique phrase : « La faute en vient de ce qu’il a voulu soumettre le droit ecclésiastique et la liberté du sacerdoce à la vie et aux maximes du cloître et de la réforme » (le célibat n’est pas la seule exigence visée, bien entendu).

Bref, tout ceci pour relativiser : le célibat sacerdotal n’a été une norme à peu près acceptée par tout le monde (du moins en théorie…) que pendant trois siècles (1650-1950). Il n’y a aucune raison de penser que l’évolution qu’a connu l’Église catholique soit irréversible. Les diacres mariés trouvent aujourd’hui leur place, au moins dans les pays occidentaux. Ce n’est pas être hérétique ou progressiste forcené que d’envisager sereinement qu’un jour, le ministère sacerdotal puisse être exercé d’une façon différente de celle en usage actuellement.

Il est légitime de se poser certaines questions : en France, les jeunes prêtres récemment ordonnés ou qui le seront bientôt viennent d’un milieu très favorisé, très « typé », et ont en général un niveau de formation très élevé. J’en connais plusieurs. Ce sont des jeunes gens admirables, sans doute plus équilibrés et bien dans leur peau que le pékin moyen. Mais faut-il que ce soit la norme ? Est-il nécessaire d’être théologien pour célébrer la messe ? Pourquoi ne pourrait-on pas envisager une autre figure du prêtre ? Pourquoi ne pas répartir autrement les tâches qui sont aujourd’hui celles du prêtre ? Etc.

Le tout est de ne pas se bercer d’illusions, de ne pas croire qu’on va régler tous les problèmes en abolissant l’obligation du célibat. Les deux principaux arguments avancés pour justifier qu’on revienne sur cette obligation sont aberrants : 1) pédophilie, je n’y reviens pas, c’est stupide ; 2) crise des vocations. Là, les enfants, je m’excuse, mais si je ne signe pas pour donner ma vie à Dieu et aux autres, avec un niveau de vie misérable (si, si, misérable, en-dehors des grandes paroisses urbaines) et un emploi du temps de dingue, il ne suffit pas de me rajouter l’option « bobonne au presbytère » pour me faire signer.

Avec un peu de créativité (qui n’est pas une vertu cardinale) bridée par la prudence (qui en est une), du bon sens, le secours de l’Esprit-Saint, la lecture de l’Évangile et de quelques bouquins d’histoire du christianisme, je suis sûr que l’Église trouvera, oh, pas des solutions (pas vraiment chrétien, les « solutions »), mais des pistes. Tiens, je ne suis pas l’Église, mais quelques pistes, là comme ça, au fil de la plume : 1) des ministères temporaires  ; 2) les ordres mineurs (lectorat notamment) remis en valeur et conférés à des laïcs ; 3) ces couples de missionnaires protestants partis à l’autre bout du monde pour évangéliser les Papous, ça vous dit quelque chose ? moi ça m’interpelle au niveau de mon vécu, comme on disait dans les années 70 (et je ne parle pas de missions Fidesco, fort louables par ailleurs…) ;  4) les viri probati (ordination d’hommes mariés d’âge mûr) ; etc.